Présentation d'Horizon Rouge:
pour la reconstitution du communisme!


Télécharger au format pdf:

A4

A5

Livret A5 à imprimer*



"Le critère de la vérité ne peut être que la pratique sociale."
– Mao Zédong, De la pratique et de la contradiction

“[...] le point de référence pour l’avant-garde n’est pas le mouvement pratique et immédiat des masses, leur lutte de résistance contre les agressions du capital, mais la pratique sociale dans son sens marxiste plein, la société dans son ensemble, autrement dit, l’état réel des relations de classe, le contexte concret de la lutte de classes dans lequel [elle évolue]”
– Mouvement Anti-Impérialiste, Le débat captif


Face à l’indéniable état de crise du Mouvement Communiste International et de ses aspects particuliers, nous sommes beaucoup de communistes à constater depuis des années la même chose dans nos pays respectifs: l’absence de référent d’avant-garde révolutionnaire[1], sans même parler de mouvement révolutionnaire en développement ascendant. Le nombre d’organisations “communistes” dans l’État français se dénombre avec deux chiffres, mais parmi elles, il n’y en a pas une seule qui ne soit pas partie du schéma organisation-politique-idéologie, de créer une structure burocratique “rouge” puis la remplir de “pratique révolutionnaire”, sans oublier évidemment les sempiternels appels à “l’unité communiste” face à la fragmentation du mouvement –mais à quelle unité fait-on appel, et sur quelles bases?–.

Qu’est-ce que nous dit la pratique sociale de ces organisations? Qu’elles sont loin de ce mouvement réel qui abolit l’état actuel, avec l’idéologie aux commandes.


Pour ceux qui ont la lucidité de faire ce constat, la solution est souvent de se résigner à militer dans une organisation révisionniste (pour changer les choses de l’intérieur, ou parce qu’il faut partir de ce qu’il existe déjà), des appels désespérés –et sans réponse– au reste de l’avant-garde ou l’abandon de la politique par désespoir.


Nous faisons donc appel aux communistes honnêtes, isolés, en burn-out militant, désenchantés, qui cherchent encore à militer pour le communisme (et pas dans l’organisation prétendument communiste de service, nuance importante), qui ne se contentent pas de distribuer du riz dans des “quartiers populaires”, coller des affiches électorales, vendre des revues d’actualité “rouges” sur les luttes économiques des employés des supermarchés du coin ou d’écrire lesdites revues, tout en constatant l’impuissance de ces actions communistes.

Nous faisons appel à ceux qui, malgré la faillite actuelle du communisme, veulent encore dédier leur vie à la révolution, à relancer la Révolution Prolétarienne Mondiale (RPM), à ouvrir un nouveau Cycle révolutionnaire partant d’un point qualitativement supérieur grâce à l’héritage révolutionnaire du siècle dernier.


La question est: comment s’y pendre? Comment faire du Mouvement Communiste de l’État français, cadavre rouge-brun, une base de la RPM?

En s’appuyant sur les textes de Lénine Par où commencer? (1901) et Que faire? (1902), la réponse générale nous semble évidente: l’activité révolutionnaire (et c’est encore plus vrai dans une étape pré-partitaire, sans Parti Communiste) peut seulement suivre le schéma idéologie-politique-organisation, dont la concrétion dans cette situation est, pour le léninisme, la création d’un référent d’avant-garde marxiste-léniniste constitué au moyen de la lutte de deux lignes (L2L) –lutte de classes sur le plan théorique– et permettant la coordination des détachements d’avant-garde révolutionnaires et leur consolidation en une unité idéologico-politique. Cette L2L au sein de l’avant-garde atomisée en cercles, avec sa résultante consolidation, les bolchéviks l’ont réalisée à l’aide de l’Iskra, journal pour toute la Russie, organe d’expression de l’avant-garde communiste, mais avant de se lancer dans la création d’un journal, il faut l’activité idéologique qui doit en être le moteur, il faut une avant-garde vivante, au risque de créer sinon une énième revue communiste mensuelle aux pages remplies de faits divers.


Mais la situation à laquelle nous faisons face ne s’arrête pas là. Il existe déjà un mouvement politique haussant le drapeau rouge du communisme révolutionnaire dans l’État espagnol: le Mouvement pour la Reconstitution, tradition révolutionnaire avec un parcours de trois décennies, dont l’organe d’expression depuis 2016 est Línea Proletaria[2].

Face à l’abondante expérience politique et la riche bagage idéologique du Mouvement pour la Reconstitution de l’État espagnol, et en l’absence d’organisation d’avant-garde semblable dans l’État français, les communistes ne pouvons que faire de leur parcours notre force –puisque ce serait absurde de partir de zéro (ne s’en tenir qu’à l’expérience révolutionnaire du siècle dernier) alors que ce mouvement existe– et nous inscrire dans sa continuité, comme léninisme d’aujourd’hui qu’elle représente, sur le plan international. Il ne s’agit pas “d’imprimer” mécaniquement la Ligne de Reconstitution (LR) de l’État espagnol sur le MCF –un vulgaire copier-coller–, mais d’appliquer le léninisme à l’état actuel des choses dans l’État français, en apprenant du détachement du Mouvement Communiste International que nous considérons le plus avancé dans cette tâche à ce jour, dans l’objectif de reconstituer un parti Communiste de Nouveau Type prolétarien.

Il va de soi que cette forme, premièrement limitée aux étroites limites de l’État dans lequels nous nous trouvons, du mouvement révolutionnaire (et donc, de la reconstitution du communisme), n’est pas un but en soi: c’est la première étape du processus, imposée par les conditions actuelles. Notre objectif n’est pas de créer “notre LR” ou une “LR francisée”, c’est de construire un mouvement communiste digne de ce nom, base de soutien de la RPM.

Nous voulons aussi signaler que nous ne sommes pas les premiers à entamer ce parcours en dehors des frontières espagnoles, et nous ne serons pas les derniers. Plusieurs détachements d’avant-garde méxicains ont franchi le pas dans cette direction en 2020: Collectif Monde Nouveau, Collectif Drapeau Rouge et Union de Lutte Prolétarienne[3], ce à quoi la LR a répondu comme il se doit, avec une fraternelle et elevatrice critique révolutionnaire de leurs premiers textes –que nous espérons aussi être à la hauteur de susciter le moment venu–.

Nous accompagnons donc cette brève présentation de la traduction de l’un des documents de la Ligne, l’interview à Línea Proletaria publiée en 2019, qui permettra de se faire une idée de ses positionnements, et donc des notres, à ceux qui ne la connaissent pas. Nous publions aussi la traduction d’un texte bref mais très pertinent du Mouvement Anti-Impérialiste[4] à propos du mouvement contre la réforme des retraites en 2010 dont l’actualité 13 ans après sa publication est très parlante sur l’état du MCF et l’absence de référent révolutionnaire.


Ceci dit, vous trouverez en annexe de cette présentation un extrait d’un des textes fondamentaux de la Ligne, Le débat captif, plus concrètement du paragraphe Ligne politique de Reconstitution du Parti Communiste, dans le but d’apporter un approfondissement supplémentaire très nécessaire –mais encore incomplet, et qui sera complété plus tard, dépassant le cadre et l’objectif de cette simple présentation– à propos de ce que l’on prénomme l’avant-garde et du processus de reconstitution du communisme.


En guise de conclusion, l’objectif de cette présentation n’est que faire un premier appel aux communistes perdus en annonçant notre voie. Les traductions citées plus haut sont les premières d’une longue liste (les documents fondamentaux de la LR étant notre priorité), et ce dans le but de mettre à disposition de l’avant-garde de l’État français (et au passage, de tous les communistes francophones) la théorie –pratique synthétisée!– développée tout au long de 30 années d’activité communiste par les camarades de l’État voisin, en espérant que ceci contribue au développement de détachements révolutionnaires et mette en ébullition l’avant-garde théorique française, qui est aujourd’hui plus proche du zéro absolu que de l’ardente L2L dont elle a tant besoin pour sortir le MCF de son profond coma.

De pair avec ce travail de traduction, vous l’aurez compris dans les lignes précédentes, il y a celui de faire le bilan de l’état du MCF, les relations entre les classes et la lutte de classes dans l’État français, et autres questions pour, au bout du compte, faire face aux besoins concrets du processus de reconstitution dans cet État. Le réglement de comptes avec le révisionnisme –idéologie, et par extension pratique, bourgeoise dans le Mouvement Communiste– ne fait que commencer.

Tout ceci, nous insistons, avec un seul et unique objectif: reconstituer le Parti Communiste –mouvement révolutionnaire de la classe prolétarienne, révolution en cours– au moyen de la consolidation d’un référent d’avant-garde révolutionnaire, en suivant la méthode léniniste, pour faire du MCF une base de soutien de la RPM.


Prennons exemple sur les camarades de l'État espagnol, sortons le Mouvement Communiste de l'État français de son coma bourgeois!
Pour la reconstitution idéologique et politique du communisme!

Horizon Rouge
Mai 2023




Annexe:
Le débat captif
Lettre ouverte à Kimetz et au reste de l’avant-garde révolutionnaire de l’État espagnol (extrait)

[Publication originale en espagnol: El Martinete nº20 (supplément), El debate cautivo, Movimiento Anti-Imperialista, 2007]


[…] La ligne générale est le plan général de la révolution, la représentation de ses étapes, prérequis et tâches en fonction des lois de la transformation révolutionnaire de la société que la lutte de classes du prolétariat a révélé progressivement tout au long de l’histoire. Sensu lato, la révolution communiste passe par trois étapes: la (re)constitution du prolétariat en parti politique révolutionnaire; la conquête du pouvoir par ce Parti à travers une Guerre Populaire, et l’instauration de la Dictature du Prolétariat, qui se développe au moyen de révolutions culturelles. Ici, nous nous concentrerons sur la première étape, car elle contient la construction des deux premiers instruments de la révolution (Idéologie et Parti) et car la réalité sociale actuelle nous offre seulement les éléments matériels et les conditions concrètes pour l’élaboration d’un plan pratique avec ces objectifs immédiats là. Ceci, toujours en fonction des autres instruments et les étapes ultérieures de la révolution, en fonction de la Guerre Populaire et l’instauration de la Dictature du Prolétariat et du socialisme. C’est-à-dire qu’il faut reconstituer le Parti Communiste afin d’initier immédiatement la Guerre Populaire; mais il n’est pas possible encore d’élaborer un plan de commencement de la Guerre Populaire, in abstracto, à l’écart des conditions sociales et politiques concrètes, résultat dans le futur de la reconstitution du Parti Communiste, une fois accomplie, du point de vue de l’état général de la correlation des forces entre les classes et du point de vue de la position particulière qu’occupera le prolétariat dans celle-ci. Les maoïstes péruviens formulaient le troisième instrument comme spécification de la Guerre Populaire en fonction des conditions concrètes du pays, ce qui signifie que la Guerre Populaire est une loi et un instrument stratégique, mais elle ne peut être établie comme ligne politique qu’à partir du concret, de la forme qu’elle prend en fonction des conditions spécifiques données par le processus révolutionnaire. Et, dans un tel sens, il est uniquement possible d’avancer que dans un pays impérialiste comme l’État espagnol, la Guerre Populaire aura pour centre les villes et que le prolétariat sera la classe principale, comme la classe dirigeante, de la révolution. Pour résumer, la ligne générale nous renseigne sur les lois du mouvement révolutionnaire, mais n’est pas possible une ligne politique sans les éléments tactiques permettant d’atteindre les objectifs stratégiques, sans prendre en considération les conditions concrètes dans lesquelles nous évoluons. Ainsi, une fois établies les éléments généraux de la stratégie révolutionnaire et leurs relations internes, il faut recentrer et définir l’objectif immédiat et proposer un plan incluant les moyens pour l’atteindre.

La première phase de la révolution prolétarienne est la phase politique. Son contenu se compose de l’accumulation de forces de l’avant-garde de la classe depuis l’idéologie révolutionnaire, et son objectif est la reconstitution du Parti Communiste. La deuxième phase de la révolution prolétarienne est la phase militaire, sous forme de Guerre Populaire. Son contenu se compose de l’accumulation de forces des masses de la classe, de la conquête des masses pour l’idéologie révolutionnaire, et son objectif est la construction de Nouveau Pouvoir, basé sur les masses armées, jusqu’à la destruction de l’État et l’instauration de la Dictature du Prolétariat. Nous nous en tiendrons à exposer les éléments de la première phase dans ses différentes étapes.


1º étape: Défensive politique stratégique. Il s’agit de la recomposition (reconstitution) idéologique du communisme révolutionnaire depuis la lutte de deux lignes autour du Bilan du Cycle d’Octobre et autour de la Ligne Générale de la révolution prolétarienne, comme aspect principal, et la lutte de classes idéologique contre toutes les manifestations et formes de la conception bourgeoise du monde –y comprises les théories d’origine non-marxiste qui luttent pour hégémoniser le mouvement ouvrier– du point de vue de la reconstitution de la conception du monde indépendante de la classe ouvrière et de sa construction comme forme supérieure de la conscience sociale, comme aspect complémentaire. Ce type de lutte idéologique deviendra le principal une fois reconstitué le Parti Communiste et une fois que, grâce à celle-ci, la délimitation entre les classes et les camps de la révolution et de la contrerrévolution aient été clarifiés. La ligne de masses, dans cette étape, est centrée sur le secteur d’avant-garde dont les inquiétudes atteignent le niveau le plus élevé des questions liées à la révolution, avec les questions qui touchent à la théorie révolutionnaire comme prérequis et condition du mouvement révolutionnaire (conscience de classe pour soi). Il s’agit du secteur que l’on prénomme avant-garde théorique. Le caractère des tâches politiques est fondamentalement théorique (recherche et élaboration) et propagandiste (diffusion au reste de secteurs de l’avant-garde et aux masses). Organiquement, toute cette labeur cristallisera progressivement en l’articulation d’organes centraux de direction et propagande et en la génération des organismes nécessaires pour l’accomplissement des tâches; en somme, elle se matérialisera petit à petit en un mouvement d’avant-garde prépartitaire naissant. Lorsque le progrès dans l’accomplissement des tâches et dans la construction de ce mouvement d’avant-garde soit suffisant, pourra s’initier le passage à l’étape suivante.


2º étape: Équilibre politique stratégique. Il s’agit de l’application des principes du communisme révolutionnaire aux conditions concrètes de la révolution dans l’État espagnol. La Ligne Généralee se transforme en Ligne Politique. L’objectif principal de la ligne de masses reste l’avant-garde théorique, mais son rayon d’action s’amplifie, car, à mesure que la théorie s’applique à des problèmes de plus en plus proches, les questions liées à la transformation sociale susciten l’intérêt d’un secteur plus large de l’avant-garde. Cépendant, le contact avec ce que l’on prénomme avant-garde pratique, la partie de l’avant-garde impliquée dans les problèmes immédiats des masses et dans l’organisation et la direction de la lutte de résistance économique (conscience en soi), est initié comme complément. Les tâches fondamentales restent théoriques (analyse des relations de classe et des tendances économiques, sociales et politiques dans la formation sociale espagnole, sans cesser d’approfondir les questions idéologiques de la reconstitution) et propagandistes (défense du communisme et du socialisme, et la Dictature du Prolétariat comme objectif immédiat de la révolution dans l’État espagnol), malgré que la génération d’organismes pour combattre la ligne opportuniste et conciliacionniste dans les fronts de résistance soit déjà initiée.


3º étape: Offensive politique stratégique. Il s’agit de la traduction de la Ligne Politique en Programme. C’est le dernier élément de la transposition des principes révolutionnaires vers des propositions d’action révolutionnaire. Les contradictions sociales de la formation espagnole sont traduites en revendications révolutionnaires en fonction des problèmes concrets qu’elles produisent; mais il ne s’agit pas du programme minimal réformiste; dans notre révolution il n’y que le programme maximal: la Dictature du Prolétariat. Le Programme communiste est la démonstration théorique et pratique du principe que sans le pouvoir tout n’est qu’illusion, c’est l’exposé –grâce aux premières expériences de l’avant-garde communiste dans les fronts de masses et des premières expériences des masses au contact de la Ligne Politique communiste– des moyens politiques et organisationnels qui sont nécessaires pour atteindre l’objectif du socialisme à condition que ce soient les masses armées qui s’organisent en Nouveau Pouvoir pour l’appliquer par elles-mêmes. À cette étape, la ligne de masses est destinée à l’avant-garde pratique comme objectif principal. Génération d’organismes dans les fronts de masses et de fractions rouges dans les mouvements de masses qui facilitent le lien politique du mouvement d’avant-garde communiste avec le mouvement ouvrier pratique et l’établissement des bases permettant l’extension de son influence au moment culminant de la reconstitution du Parti Communiste et du passage à la phase militaire du processus et à la conquête des masses profondes depuis la Guerre Populaire. Lutte contre la tendance droitiste de transformer les organismes de base en front syndical, ce qui les dévierait de leur mission d’être des organismes du Parti pour la future constitution de bases de soutien pour la Guerre Populaire et qui les mettrait sur les rails de la voie réformiste des revendications économiques immédiates et de la lutte pour des conquêtes politiques démocratiques. L’incorporation d’un secteur de l’avant-garde pratique au mouvement communiste et la consolidation organisationnelle de cette unification entre l’avant-garde théorique et l’avant-garde pratique supposera la concrétisation réelle de la fusion léniniste entre le socialisme scientifique et le mouvement ouvrier, entre la théorie et la pratique prolétariennes et, en définitive, l’aboutissement de la reconstitution du Parti Communiste. Le Parti Communiste comme mouvement politique et le Programme communiste comme premier référent politico-idéologique pour les masses expriment la position d’offensive politique que l’avant-garde prolétarienne a atteint pour la classe ouvrière. Immédiatement, sont initiées les préparatifs pour développer la politique prolétarienne par d’autres moyens, par la voie armée à travers la conquête des masses au moyen de la Guerre Populaire en sa première étape, la défensive militaire stratégique.


Comme dit plus haut, il n’est pas possible de décrire concrètement les éléments de cette nouvelle phase, ni les formes que prendront les détachements armés du Parti, ni la forme des bases de soutien, ni des moyens d’organisation de milices populaires, etc. Évidemment, tout ceci dépend des conditions concrètes de la lutte de classes, des formes spécifiques de développement de l’unité du mouvement d’avant-garde avec le mouvement pratique et de l’expérience accumulée pendant la phase de reconstitution, principalement lors de sa troisième étape.


De nos jours, la ligne politique de reconstitution est la seule ligne politique prolétarienne possible. Les conditions de liquidation du mouvement communiste dans lesquelles nous évoluons, résultat de la fin du cycle révolutionnaire, obligent à reconsidérer les conditions et les prérequis de recomposition de ce mouvement, autant d’un point de vue stratégique que tactique. Ne suffit plus l’unité autour de bases politiques, comme les Vingt et une conditions qui ont permis la naissance des premiers partis communistes et du mouvement communiste international, ni l’unité autour de bases idéologiques, comme le maoïsme, qui a été le point de départ pour la reconstitution du Parti Communiste du Pérou; il faut définir tout un domaine de tâches théoriques et pratiques permettant, comme point de départ, la reconstitution idéologique et la construction d’un mouvement d’avant-garde en unité étroite comme base de la reconstitution du Parti Communiste. Les masses ne nous appartiennent pas, et le communisme n’est plus un référent pour elles (alors que c’était le cas dans les deux exemples de constitution communiste cités plus haut). Les masses, aujourd’hui, sont de la chair à canon de l’impérialisme, de manipulation du réformisme ou de suicide terroriste du yihadisme. Il est nécessaire de les reconquérir; mais, pour cela, l’avant-garde ne peut compter que sur elle-même. Elle doit, par conséquent, s’organiser à cette fin, créant les instruments nécessaires, principalement le Parti Communiste. Elle ne peut pas prétendre que les masses trouvent des solutions pour elle à ses problèmes théoriques et pratiques, qu’elles lui offrent résolus les outils pour la révolution. Il est vrai que sans elles, ces outils ne peuvent exister, mais le point de départ est à l’avant-garde, le premier pas doit être fait par l’avant-garde et dans le domaine de l’avant-garde. Celle-ci est la seule réponse à la question de par où commencer.


Cette proposition implique, bien entendu, qu’il faut commencer par les problèmes théoriques et les problèmes pratiques liés à la construction d’un mouvement d’avant-garde un minimum articulé. Contre cette position, l’on objecte habituellement l’argument démagogique et dogmatique que, pour le marxisme, la pratique est toujours l’aspect premier et principal, et que de ce fait il faut commencer par l’action pratique et par le mouvement ouvrier réellement existant, tel qu’il est en l’état actuel. Mais il s’agit d’un argument anti-dialectique qui dévie le concept marxiste de la pratique vers le pragmatisme et l’empirisme, et l’activité de l’avant-garde vers le practicisme. Qu’est-ce alors que la pratique pour le marxisme? Pour le marxisme, la catégorie de pratique présente deux aspects –qui forment bien sûr une unité ontico-gnoséologique–, l’un objectif et l’autre subjectif. Le premier, Marx l’a résumé dans sa VIIIº thèse sur Feuerbach:


“La vie sociale est essentiellement pratique. Tous les mystères qui détournent la théorie vers le mysticisme trouvent leur solution rationnelle dans la pratique humaine et dans la compréhension de cette pratique.”


C’est de cela qu’est constitué le premier principe de la méthode marxiste, du matérialisme historique. Mais nos démagogues sont arrivés à la conclusion que toute activité de compréhension rationnelle de la pratique humaine, de la société comme produit de l’activité matérielle de l’homme, est idéalisme ou intellectualisme. Tout effort pour élaborer une représentation des relations sociales et de la lutte de classes dans leur ensemble, de compréhension des tendances concrètes générées par ces relations et cette lutte et du cadre général des lois dans lesquelles elles s’inscrivent, sont pur théoricisme et spéculation d’intellectuels (ce qui, étant donné leur échelle de valeurs, n’est pas une insulte moindre), pas une activité propre aux ouvriers, même s’il s’agit d’ouvriers avec une conscience de classe. Ceux-ci, paraît-il, doivent être des praticiens, doivent se submerger dans la réalité concrète et en faire partie pour la connaître en faisant partie de celle-ci. Mais ce practicisme qui renonce à la perspective du point de vue théorique et prétend se forger une représentation du monde et de la société en fonction de l’expérience empirique immédiate a-t-il quelque chose à voir avec le marxisme? Cette espèce de spontanéisme gnoséologique est-elle la position de la pratique subjective marxiste? Dans sa IVº thèse sur Feuerbach, Marx dit que:


“Il faut donc d'abord comprendre celle-ci [la réalité terrestre, “base temporelle”] dans sa contradiction pour la révolutionner ensuite pratiquement en supprimant la contradiction. Donc, une fois qu'on a découvert, par exemple, que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c'est la première désormais dont il faut faire la critique théorique et qu'il faut révolutionner dans la pratique.”


De cela est constitué le premier principe de l’action pratique du sujet, qui n’est pas action immédiate, mais action révolutionnaire. Mais nos démagogues sont arrivés à la conclusion que seule l’action directe est action révolutionnaire, et s’apprêtent à participer dans les luttes provoquées par les contradictions sociales en les intégrant sans avoir réalisé la correspondante critique théorique permettant d’en découvrir la nature, avec pour seul objectif d’accentuer et développer ces contradictions jusqu’à ce qu’elles trouvent leur solution d’elles-mêmes, car leur foi matérialiste les somme de croire en une métaphysique substantialiste de l’immanence derrière les choses et permettant que celles-ci se dirigent d’elles-mêmes vers la fin que leur dicte leur nature. Cependant, Marx n’étant pas Aristote et ne croyant pas en les fantaisies, il indique clairement qu’il ne s’agit ni de développer la contradiction, ni de s’assurer qu’elle se résolve d’elle-même, mais de révolutionner la contradiction. C’est cette incompréhension absolue de la vraie pratique révolutionnaire qui a permis, grâce à ces praticiens –qui ont pendant des décennies dominé le mouvement communiste et dirigé ses organisations–, la réduction ontologique et gnoséologique du marxisme et la liquidation de son programme d’action révolutionnaire, qu’ils ont substitué par le réformisme et le possibilisme politiques. Pour conclure, il ne s’agit pas de développer la contradiction entre capital et travail, mais de la révolutionner; il ne s’agit pas de développer le mouvement de résistance jusqu’à ce qu’il se transforme en révolutionnaire. Ceci est une fantaisie idéaliste. Il s’agit de révolutionner le mouvement de résistance des masses. Et le Parti Communiste, amenant la Guerre Populaire à ce mouvement, est le seul instrument capable de révolutionner l’ensemble de la classe ouvrière.


Une des conséquences du réductionnisme auquel les praticiens soumettent le marxisme est la limitation de la perspective sociale de la lutte de classes au point de vue économique, et la limitation de l’approche qui inclut l’état de toutes les relations sociales entre toutes les classes au point de vue de la relation entre l’ouvrier et le patron. De cette façon, la pratique se voit réduite à la lutte syndicale, à un espace limité de l’ensemble des contradictions de classe, et la réalité sur laquelle il faut agir, de laquelle doit partir le sujet révolutionnaire, n’est pas l’ensemble de la société, mais le mouvement économique d’une seule classe, le prolétariat. Selon cette approche, la lutte économique pour des revendications immédiates est l’embryon des types de lutte supérieurs, des formes politiques de lutte révolutionnaire. La lutte au sein de l’entreprise est la forme basique dont le développement et l’extension impliquera la classe dans son ensemble. Pour cette raison, l’accent est mis sur les grèves, manifestations et démonstrations de rue comme formes principales de lutte à l’heure actuelle, que l’avant-garde doit proposer et organiser; en même temps, est réclamé le soutien pour les secteurs critiques des syndicats jaunes majoritaires, pour les petits syndicats de classe et pour les plateformes autonomes de travailleurs. L’extension de l’expérience de ces organismes, unie à la révélation (un quelconque variant du marxisme-léninisme ou du maoïsme) qui leur sera apportée par ces messieurs si sérieux et responsables, vaccinés contre tout semblant de velléité gauchiste, assurera les outils politiques et organisationnels de la révolution. Il n’y a pas de problèmes théoriques de la construction du mouvement communiste parce que celui-ci, en réalité, n’existe pas en tant que tel. Le mouvement pratique est le mouvement dirigé par ces messieurs. Le communisme est appendice du mouvement de résistance. Sa reconstitution se limite, donc, à un problème d’organisation et à sa postérieure intégration du mouvement, car comme avait déjà dit le père du révisionnisme, l’important, c’est le mouvement, le but est secondaire.


Lénine a combattu cette conception gradualiste et mécaniciste du mouvement révolutionnaire lorsque le révisionnisme de type bernsteinien s’est matérialisé en Russie sous la forme de l’économisme, au début du XXº siècle, et lorsque, après la défaite de la Première Révolution russe, il a combattu les menchéviks, qui voulaient liquider les formes d’organisation clandestine et de lutte illégale du mouvement ouvrier. Dans les deux cas, Lénine a démontré que la projection politique de la résistance spontannée des masses et la projection organisative de la lutte trade-unioniste conduisent au programme réformiste et à ce qu’il a désigné le parti ouvrier libéral. Aujourd’hui, après la défaite de la première grande offensive de la Révolution Prolétarienne Mondiale, l’avant-garde fait face aux mêmes déviations de la tactique révolutionnaire. Ce n’est pas un hasard que les mêmes praticiens qui, avec frénésie, méprisent la lutte théorique et appelent à diriger les luttes partielles des travailleurs soient aussi ceux qui proclament comme objectif politique immédiat la République[5]. Cependant, à l’heure actuelle, les fervents avocats de la pratique immédiate n’ont pas été capables de montrer une seule expérience de lutte ouvrière qui puisse servir d’exemple de plateforme du futur mouvement révolutionnaire du prolétariat. Nos praticiens appelent depuis des années au soutien et à canaliser des luttes ouvrières comme celles de Sintel, Santana, La Naval, Cortefiel ou Delphi[6], en insistant sur le fait que c’est là où doit se diriger et travailler l’avant-garde; mais ils ont seulement été capables de démontrer leur impuissance, leur défaite, et finalement, la faillite de la ligne praticiste de construction du mouvement révolutionnaire. Au final, le travail communiste de masses tant crié sur tous les toits en est resté là, à faire des appels de soutien à des luttes qu’ils n’ont pas été capables d’initier, ni d’organiser, ni de diriger. C’est ironique, donc, que les ennemis les plus farouches de la théorie et de la planification politique aient fini par exercer en simples “théorisateurs” et de propagandistes de la pratique, avec laquelle ils n’ont aucune relation réelle. C’est un comble d’observer les praticiens théoriser sur la pratique et s’entêter de spéculer sur des hypothèses et idées préconçues que la pratique –ce critère de vérité auquel ils font tant appel, mais qu’ils n’appliquent pas à eux-mêmes– a réfuté. En effet, le pragmatisme n’est que le revers de la médaille de l’idéalisme, dans le cas qui nous occupe, du culte à l’idole de la spontanéité des masses. La conséquence la plus grave pour le mouvement ouvrier révolutionnaire est cependant constitué par le terrible processus d’appauvrissement auquel la prédominance de cette école de pensée pendant de multiples générations de communistes a soumis le marxisme, consistant en la suppression de toute analyse de classe, antichambre de sa liquidation comme idéologie. Effectivement, si le point de vue adopté est celui des besoins théoriques et pratiques d’un mouvement concret donné, la tendance prédominante conduira à placer au centre de l’analyse ces besoins et le reste de facteurs réels en fonction de ceux-ci; sera exclue, par conséquent, l’analyse scientifique marxiste, l’analyse qui place au centre les luttes de classes, et non pas la lutte ou le mouvement d’une classe, mais les relations entre toutes les classes sociales. Il y a longtemps que ce genre d’analyse brille par son absence dans notre mouvement, étant substituée par l’énumération de conflits de travail ou de litanies de dénonces d’attentats contre les droits des travailleurs perpétrés par les gouvernements de service que sont devenus les organes de presse des partis communistes et ouvriers.

Mouvement Anti-Impérialiste
2007


Notes:

  1. [↑] L’avant-garde est le secteur le plus idéologiquement avancé d’une classe, par opposition aux masses. Au sein de celle-ci, l’on peut distinguer l’avant-garde pratique et l’avant-garde théorique, la première étant la plus proche des mouvements des masses, et la deuxième, la plus avancée idéologiquement (cf l'annexe).
  2. [↑] "Ligne Prolétarienne"
  3. [↑] Colectivo Nuevo Mundo, Colectivo Bandera Roja et Unión de Lucha Proletaria, respectivement.
  4. [↑] Movimiento Anti-Imperialista, organisation communiste de la Ligne de Reconstitution, désormais dissoute dans le Mouvement pour la Reconstitution.
  5. [↑] NDT: Une fausse dichotomie courante dans le Mouvement Communiste de l’État espagnol est celle d’opposer IIIº République et fascisme, dont l’origine est que la IIº République a été liquidée par le camp fasciste de la Guerre Civile, comme s’il n’y avait pas d’autres options. On pourrait rapprocher cette position, hormis les différences évidentes, à celle de ceux qui revendiquent une VIº République française, ou une République du Royaume-Uni: la république bourgeoise n’est pas un objectif stratégique pour des communistes dignes de ce nom, seule la Dictature du Prolétariat, véritable démocratie prolétarienne, peut l’être.
  6. [↑] NDT: Usines et enseignes espagnoles impliquées dans des luttes ouvrières économiques médiatisées.

[↑] Paramètres d'impression pour imprimer le livret A5: impression A4, format paysage, recto-verso, retour sur bords courts

Dernière mise à jour: 05/2023